La France a plusieurs dates mémorielles. La Journée nationale des mémoires de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions qui a lieu sur tout le territoire national français le 10 mai 2022, fait partie de l’une d’entre elles. La cérémonie a eu lieu dans la ville de Tours à la stèle Senghor, au Jardin historique classé des Prébendes d’Oé en France en présence de la préfète d’Indre-et-Loire. (Voir le programme).
La France en effet, est le premier et seul État qui, à ce jour, ait déclaré la traite négrière et l’esclavage “crime contre l’humanité” et à avoir décrété une journée nationale de commémoration.
Christina Goh, interpréta à cette occasion un poème en français « VULNERABLES », ode à l’espérance mais aussi hommage de Goh aux victimes de l’esclavage des siècles passés et du siècle en cours, et au poète Sédar Senghor, ancien militaire et résistant de la deuxième guerre mondiale, connu pour la négritude, qui fût enseignant à Tours de 1935 à 1938. L’artiste interpréta un titre, exceptionnellement en anglais et a capella, « I wish I knew (how it would feel to be free) », composé par Billy Taylor, connu pour avoir été hymne de la lutte pour les droits civiques avec Martin Luther King. Le Dr. King, qui en 1966, répondit à l’invitation d’associations françaises en France.
Intervention de Christina Goh à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions – 10 mai 2022
« Cette commémoration me ramène à certains de mes ancêtres maternels, qui étaient esclaves et désignés par des numéros sur certains papiers administratifs extraits des plantations des Antilles françaises. Au village de mon père, en Afrique de l’Ouest, qui était confronté à la traite. À la rencontre surprenante de mes parents à Paris. Et au-delà de mon histoire personnelle, je pense à cette planète que nous partageons, à nos destins croisés au cours du temps. Je suis honorée en ce lieu, à cet instant de vous partager ce poème qui suit.
VULNERABLES
Face à la vulnérabilité,
Quel recours ?
Quand l’humain est trahi
Par lui-même, quel secours ?
Pieds et poings liés
Sans la force de rêver, juste la douleur
Intolérable. Jusqu’à la perte indicible…
Irrémédiable.
Mais… La vie n’a-t-elle pas été portée ?
L’innocence n’est-elle pas née ?
Précieux cadeau d’espoirs, yeux de l’infini,
Mains tracées, empreintes uniques
Irremplaçables en dépit des dires de l’empressement
Dont le tourment laissa la tâche noire de De Nerval
En Tout.
Ainsi toi, Sédar Senghor par le verbe, tu voulus comprendre
Du Sérère, ta langue natale, au wolof, au français, jusqu’au latin
Tu te vêtis de mots étrangers pour parler à l’autre
L’autre, ce nouveau territoire d’une même poussière
Tu préféras le pèlerinage à la conquête de la tigritude
Succomber au poids de la perte et de la rage ?
Et tu écrivis de ton cœur, dans un camp du nazisme :
A mes frères aux mains blanches sans neige (1)
Humble transcendance quand tu témoignas sans honte :
Nous sommes des petits d’oiseaux tombés du nid,
des corps privés d’espoir et qui se fanent
Des fauves aux griffes rognées, des soldats désarmés des hommes nus
Et nous voilà tout gourds et gauches comme des aveugles sans mains.
Les plus purs d’entre nous sont morts : ils n’ont pu avaler le pain de la honte.
Et nous voilà pris dans les rets, livrés à la barbarie des civilisés
Exterminés comme des facochères.(2)
Ô Léopold Sédar Senghor !
D’une fatale, obscène rumeur sur la ténèbre, tu répandis
Avec l’Aimé, à coup de fraternité, la négritude, amour
Pour chaque être originaire de la terre qui porta Joar
Mais d’autres langages t’appellent encore
Et résonne encore ta voix
Ô Léopold Sédar Senghor !
Je veux dire le nom et l’honneur de tous ceux
Qui sont tombés, torturés, humiliés, brûlés,
Dans le silence, horreur d’une dignité bafouée
Silence mortifère, horrible de la douceur
Des camps de prisonniers, aux marchés d’esclaves,
Des bordels de douleur, aux usines à bébés,
Des chantiers de détresse aux mines de la honte
Des rues sombres et des tapis rouges de l’addiction,
et depuis les routes abruptes de guerre
Se dévoilent dans l’essence de tes vers,
les voix des compagnons des luttes de libertés,
Nous vous entendons encore quand tu écris :
Qui a dit qui a dit, en ce siècle de la haine et de l’atome
Quand tout pouvoir est poussière toute force faiblesse,
que les Sur-Grands
Tremblent la nuit sur leurs silos profonds de
bombes et de tombes, quand
A l’horizon de la saison, je scrute dans la fièvre les tornades stériles
Des violences intestines ? Mais dites qui a dit ?…
Et tu dis mon bonheur, lorsque je pleure
Martin Luther King ! (3)
Tu nous connais !
Rêve, apprendre, espérance !
Que chacun puisse dire :
Je ressuscite mes vertus terriennes ! (4)
Que nous répondions présents à la renaissance du monde ! (5)«
Christina Goh
Sources citations Léopold Sédar Senghor
(1) Neige sur Paris (Chants d’ombre)
(2) Au Guélowar (Hosties noires)
(3) Elégie pour Martin Luter King – Pour un orchestre de jazz
(4) Le retour de l’enfant prodigue (Chants d’ombre)
(5) Prière aux masques (Chants d’ombre)