Voix oubliées (J’étais là)

L’épisode de podcast dédié de Christina Goh « Voix oubliées (J’étais là) ».
Aperçu d’un quotidien rarement évoqué (hommage aux Antillais disparus ayant vécu en Afrique de l’Ouest dans la décennie 80).

En échangeant sur le sujet avec une auteure pour laquelle j’ai un profond respect, cette dernière me l’évoque sans fioritures :
« le sujet te touche. Pourquoi ne le rédiges-tu pas ?  »

Alors, j’ai écrit. Sur des hommes et des femmes qui ont aimé. Avant tout.

Christina Goh

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Le texte (source)

« J’étais là »

Combien sont-ils à avoir disparu des radars ?
Puissent-ils reposer en paix. 

Antilles, Afrique de l’Ouest, ils ont voulu tout embrasser. Années 80. Enfants de Caraïbes françaises ayant décidé de traverser l’Atlantique pour vivre sur ladite « terre mère ». Oui je les ai connus avec mon regard et mes oreilles d’enfant. Avec ou sans argent. Une autre époque. Une autre vie.

Antilles françaises – Afriques, les défricheurs ont existé. 

Ces filles courageuses disparues trop tôt, et dont on disait en ville « pour mettre une antillaise dans le lit, il suffit de parler d’amour, pas besoin de payer… » Ces jeunes hommes qui avaient connu les câlins et le riz au lait de maman, « ils sont trop mous » ; ceux qui ont fini dépendants aux substances ou derrière les barreaux… « Métisses gâtés » ? Noir n’était pas noir ? Je revois parfois leurs visages et me souviens des accents dits « bizarres » à la sauce créole. Je me rappelle encore du costard blanc du tonton du restaurant immaculé.

Je revois ces mères aux regards hagards ou baissés, autrefois dites jolies, abandonnées au bord du chemin, aux arrêts des difficultés socio-économiques de conjoints acculés par leurs familles, attendant jusqu’à la mort. Ou encore les divas, maîtresses en déni, ignorées de leurs îles, qui n’avaient que les bijoux pour se consoler et la frime pour oublier. Et certains de ces descendants d’esclaves devenus nouveaux propriétaires snobs de plantations ou de dynasties reconstituées sur la terre de l’origine.

Me revient, cette jeune fille amoureuse, aux nattes lisses, dans la vieille pirogue du campement. Elle voulait apprendre à lire à la petite bonne que tout le monde ignore. Je me souviens des foyers hybrides, « No man’s land » de nappes madras, de masques du village, de photos de Paris, de l’odeur du rhum qui console et de musiques du carnaval essayé. 

Années 80 et des Antillais Français d’Afrique de l’Ouest.


Le billet d’avion hors de prix, juste pour ceux qui peuvent et le retour sur l’île pour acheter (encore) à coup de cadeaux l’affection de ceux qui vous ont déjà oubliés. C’est un kit. « Afrique ? (Quelle idée !) Mais pourquoi es-tu parti vivre si loin ? » Retour impossible ou qui rend fou.

Antilles-Afriques, les défricheurs ont existé. 

Ils n’ont aucun regret mais ont connu le fracas des accidents des routes des mers.
Ô Héros ! Sans Wikipédia, blogs dédiés et Google map, combien ont pris le chemin sans connaître, sans savoir, pour découvrir au prix fort ou pour construire ? Soi, une famille ou une nation.

Lentilles et dombrés au pays de l’atchekey. Bananes plantain mangées simplement bouillies. Oui aussi. Et les femmes en robe pour apprendre le pagne. Les tresses parfois pour garçonnets et fillettes avec les « C’est quoi cette coiffure au juste ? » à bien des carrefours.

Leurs tombes se trouvent, oubliées ou perdues, sur le continent ; ils se sont souvent éteints, moqués ou incompris, sur l’île. Leurs fantômes hantent aussi les mers. 
Déchirés entre les cultures et les terres.
Qui se souvient encore de leur courage et de leurs failles qui nous apprennent ?


Ils dorment au creux de ma mémoire. Parfois me réveillent. Ils me rappellent que la planète bleue, c’est de l’eau.

Christina Goh

Lien utile

Vidéo archive 2009

En 2009, invitée par Marie-Ange Ravin, personnage emblématique de la tradition en Martinique, chevalière de l’ordre National du Mérite de la République française, Christina Goh choisit d’interpréter en musique le poème en créole de l’auteure JQ Louison, extrait de son recueil « Emotion ». « L’impossible retour… » Goh est dans l’interprétation pure et l’écrit de Louison en créole, basé sur la vie de l’auteure, décrit le blues d’une Martiniquaise vivant en Afrique de l’Ouest dans les années 80…

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