Joyeuses fêtes !
A cette occasion, la nouvelle « La pierre qui chante » extraite de l’ouvrage « Contes et autres nouvelles de l’imaginaire » de Christina Goh, publiée en août 2021, vous est offerte ! Bonne lecture pour (re)découvrir l’histoire de Fati, en vous souhaitant courage et sérénité pour le passage en 2022.
Une pensée toute particulière à ceux qui ressentent les affres de l’absence ou de la solitude.
Désormais disponible : La nouvelle « La pierre qui chante » en podcast
La pierre qui chante
La lecture de « La pierre qui chante » en version intégrale qui vous est offerte est extraite de l’ouvrage « Contes et autres nouvelles de l’imaginaire ».
Bonne lecture !
Il était une fois une petite vendeuse d’eau, orpheline de père et de mère.
Petite, parce qu’avec son grand plateau sur la tête, où étaient disposés les petits sachets remplis du liquide transparent, la jeune fille de vingt et un ans en paraissait quatorze et n’avait jamais mangé à sa faim. Menue et en guenilles, elle ne recueillait pourtant que les regards de mépris des uns et des autres. Qu’importe, Fati arpentait les rues de sa ville côtière, inlassablement, et chaque jour, elle appelait à la ronde : « De l’eau, de l’eau glacée ! »
Bien souvent, des rires moqueurs ponctuaient ses appels : « Quelle eau glacée ? Tu les exposes au soleil du matin au soir ! » Et les passants riaient grassement de ce qu’ils estimaient être une bonne blague.
Fati, elle, ne riait pas, sauf quand elle était avec ses petits cousins dont elle assurait régulièrement la garde. Sinon, elle continuait simplement son chemin sans se retourner, entre les voitures, les camions et les piétons de cette ville animée d’Afrique de l’Ouest, cité dont elle connaissait bien des carrefours, bien des errants.
Et quand elle rentrait au soleil couchant dans la cour commune qu’elle occupait avec son oncle et sa tante, elle ne les écoutait plus crier :
« Tu es une femme majeure, il faut te « chercher »[1] bon sang ! Nous aider un peu, comment on va te nourrir ? »
Et puisque vendre de l’eau ne suffisait pas, après qu’elle ait abandonné l’école, sa tutrice lui avait imposé toutes les tâches ménagères possibles. Ils auraient pu lui faire plus de mal. Elle n’avait aucune amertume à leur égard. Elle savait. Pour les enfants qui devaient manger. Pour les factures qu’ils avaient à payer.
Elle dormait dehors et n’avait plus le droit de toucher à la nourriture, depuis qu’elle avait refusé de monter dans la voiture de celui qui se faisait appeler « Tonton Bonbon Prospère », depuis qu’elle avait refusé d’aller « trouver » des filles pour « Tantie » Mado. Chaque nuit, elle était simplement heureuse de pouvoir s’asseoir et dormir. Elle en était là.
Une nuit, alors que Fati avait terminé ses besognes et était étendue sur sa natte, devant la porte de la chambre « entrer-coucher » de la famille, elle entendit des pleurs. Des sanglots doux qui ressemblaient à un chant :
« Keyema, Keyema, te reverrai-je ? »
Fati s’était relevée, elle avait essayé de voir d’où provenait cette mélopée qui se mêlait au bruit des voitures qu’on entendait au loin, un peu plus à l’ouest, à la sortie du bidonville.
Elle avait écouté de toutes ses forces puis avait réalisé que ce chant provenait de l’égout oublié qui se trouvait juste à côté de l’entrée de la cour commune.
Heureusement qu’il était si tard, sinon les jeunes l’auraient cru folle et l’aurait poursuivie dans le quartier en la voyant s’approcher de ce trou noir.
En se mettant à genoux et en approchant son visage de la boue noirâtre et puante, elle avait remarqué un papillon qui se trémoussait. Ce ne pouvait pas être lui qui chantait ! Elle avait libéré tout de même la petite bête et avait trouvé juste à côté une jolie pierre, qui devait avoir été rouge, il y a très longtemps.
En approchant la pierre de son oreille, Fati avait entendu de nouveau le chant plus fort, tel un écho :
« Keyema, Keyema, te reverrai-je ? »
Oh, se dit Fati, une pierre qui chante ! Et qui est cette Keyema ?
Alors la pierre se tut.
Fati l’avait emportée à l’intérieur de la cour, l’avait lavée avec un peu de l’eau de pluie de son seau, et elle s’était couchée avec l’objet serré dans le creux de sa main. Elle en ferait la médaille d’un joli collier jusqu’à ce qu’elle puisse découvrir le secret lié à cette mystérieuse trouvaille.
Cette nuit-là, la jeune fille fit un rêve étrange. Elle se vit sur le dos d’un immense papillon qui survolait sa ville, volait au-dessus de la mer, jusqu’à une terre qu’elle ne connaissait pas. Quand la jeune fille se réveilla le lendemain, elle se dit que c’était bien dommage que l’humain n’ait pas d’ailes pour pouvoir s’envoler. Elle se dit que le papillon sauvé la veille lui avait dit merci. Avec ce beau rêve et la pierre.
Après ses corvées matinales, elle enfouit le caillou avec peine dans son vieux soutien. Près de son cœur, rien ne pourrait lui arriver. Elle voulait garder le cadeau du papillon sur elle en attendant de trouver une cordelette pour fabriquer son collier. Ensuite seulement, elle prit son plateau rempli de sachets d’eau sur la tête et commença sa tournée matinale.
Quand elle arriva au cœur de la cité, une agitation particulière animait le centre-ville. Les fonctionnaires à leur pause parlaient encore plus haut et fort que d’habitude ! Les voitures de police étaient plus nombreuses et crispaient les piétons par leurs sirènes tonitruantes ; des véhicules pour grands travaux étaient garées sur de nombreuses voies. Fati ne s’inquiéta pas outre-mesure de tous ces excès, cela faisait longtemps que le bruit du monde ne montait plus jusqu’à elle.
Et puis brusquement, dans tout ce chahut, elle l’entendit de plus en plus fort :
« Keyema, Keyema, te reverrai-je ? »
C’était la pierre rouge !
Pourquoi rechantait-elle ? Et aussi fort !
Fati regarda autour d’elle. Personne n’entendait ?
Elle déposa péniblement son plateau en bas du feu rouge où elle s’était postée pour attendre les chauffeurs de taxi, ceux pas trop malveillants, qui auraient pu lui acheter des sachets d’eau. Le chant de la pierre était tellement fort à présent qu’il lui faisait mal aux oreilles. Elle regarda encore tout autour, apeurée. Mais personne ne semblait entendre. Personne, sauf cette femme. Elle était assise dans une voiture noire. Elle l’avait regardée fixement par la vitre baissée, quand le véhicule était passé au feu vert. Leurs regards s’étaient croisés. Puis tout s’était embrouillé, la chanson de la pierre était devenue trop forte, lui avait fait mal aux oreilles, puis à la tête, et Fati s’était évanouie.
Quand la jeune fille se réveilla, elle était dans un lit qu’elle ne connaissait pas. Elle n’avait jamais été dans des couvertures si douces, qui sentaient si bons. Elle n’avait plus faim. Ce n’était pas comme d’habitude.
Où était la pierre ? Où était le chant ?
Elle ne portait pas les mêmes habits, où était la pierre ? Où était le chant ? Il y avait des tissus épais ou des paravents qui l’entouraient, qu’en savait-elle ? Mais où était-elle ?
Une toute petite fenêtre ! Elle s’approcha juste un peu. Elle vit comme du coton blanc. Du blanc, du bleu. Ce coton, était-ce un nuage vu d’en haut ? Cette découverte la décontenança à tel point qu’elle s’avança encore et fit du bruit. Aussitôt, une jeune dame survint. Elle était bien jolie. Mais Fati eut peur. La demoiselle sourit pour la rassurer :
« Ne bougez pas. Il faut vous reposer. Vous dormez depuis trois jours. Il ne faut pas toucher à ces fils, surtout n’ayez pas peur. Vous avez failli mourir, nous vous déplaçons par voie aérienne à un endroit où vous pourrez être soignée. »
Fati l’entendit soudain de nouveau, la pierre chantante. Cette fois, comme un chuchotement apaisé, de tout près : « Merci, merci, merci, merci. »
Le son venait du cou de la dame qui venait de repousser l’épais pagne gris pour s’approcher d’elle. Elle la reconnut, c’était celle de la voiture noire, celle du feu rouge.
« Tu l’entends aussi n’est-ce pas ?
– Oui.
Les deux femmes se regardèrent en silence un long moment. Puis Fati demanda doucement :
– C’est toi Keyema ? Elle te pleurait…
– Oui. Merci d’avoir retrouvé la pierre. Une pie l’avait emportée. Tu auras la récompense promise.
– Récompense ?
– Celle qui était offerte pour retrouver ce diamant rouge, le plus rare et le plus cher dans ce monde. »
[1] Terme familier en Afrique de l’Ouest pour « trouver une source de revenus d’une manière ou d’une autre ».
Le saviez-vous ?
Le diamant est constitué de carbone pur cristallisé, formé dans des conditions de très hautes températures et pressions à des profondeurs de 140 à 190 kilomètres dans le manteau terrestre. Il peut également apparaître naturellement lors d’un violent impact d’un astéroïde. Le graphite alors comprimé se transforme en diamant. L’onde sonore la plus rapide, qui se propage à environ 18 km/s, a été mesurée dans le diamant.
Le diamant rouge, cité dans ce conte existe vraiment. Chante-t-il ? Est-il à la portée d’un oiseau ? C’est une autre histoire…
Joyeuses fêtes !